Interview de Jean VIARD
Dans son dernier essai, le sociologue Jean Viard nous invite à observer notre société dans toute sa diversité avec des arrêts sur image où se mêlent chiffres, réflexions et propositions.
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Interview de Jean VIARD
Dans son dernier essai, le sociologue Jean Viard nous invite à observer notre société dans toute sa diversité avec des arrêts sur image où se mêlent chiffres, réflexions et propositions.
Avec ce titre Une société si vivante, que vouliez-vous faire passer comme idée ?
Jean Viard : Jamais dans l’histoire de l’humanité, le monde n’a changé aussi vite, aussi massivement. Il a connu des révolutions locales qui, hier, s’étalaient sur plusieurs générations. La révolution collaborative et numérique, elle, a pris moins de dix ans pour tout bouleverser à l’échelle planétaire. En France, la société s’adapte à toute vitesse en développant ses grandes métropoles et ses territoires.
Elle est si vivante ! Mais une partie d’elle est comme les Canuts lyonnais lors de leur première révolte de 1831 : elle peine, bousculée par ces changements si rapides.
Face à ces bouleversements radicaux, où est votre rôle ?
JV : Mon travail de sociologue, c’est de raconter le changement. Depuis des générations, les gens n’aspiraient qu’à la stabilité. La discontinuité est devenue la règle. Car plus la vie est longue, plus on la vit par séquences courtes : on peut y retenter à tout moment sa chance, en amour, en emploi, en convictions…
L’ancienne stabilité, CDI, mariage, propriété…, se transforme en aventure, étape, discontinuité. La question n’est plus aujourd’hui de conquérir le monde, mais d’habiter un monde fini, interconnecté,
unifié, mobile. D’inventer, donc, le mouvement sur place. Et de le faire désirer comme nouvelle aventure humaine.
Vous soutenez la France des solutions dont la CEIDF est le partenaire fidèle. Fait-elle partie de cette France si vivante que vous décrivez dans votre essai ?
JV : En mettant l’éclairage sur des élans en train de naître, la France des solutions s’inscrit dans un optimisme créatif que je partage. Mais dès lors que dans un pays l’espérance de vie ne cesse de s’allonger (onze années de gagnées depuis 1968 !) et les femmes d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent, je considère que la société va bien. La France dispose de ces deux fondamentaux, l’optimisme devrait être de mise.
Vous dites que la question qui nous est posée en 2018 est la même qu’en 1848 : penser un avenir pour notre société. C’est toute la difficulté : comment penser le commun, le collectif, alors que chacun vit selon une trajectoire aléatoire individualiste ?
JV : Dans certains pays, l’affaiblissement des groupes (syndicats, partis politiques…) provoque la montée des régimes autoritaires. En France, cette disparition a provoqué une émergence forte des territoires
auxquels les gens se rattachent. Mais attention aux risques des populismes…
C’est pourquoi je dis qu’il faut chercher des formes politiques nouvelles pour se protéger des montées des populismes… De ce point de vue, Emmanuel Macron est, à mes yeux, un contre- feu intéressant à suivre.
Est-ce que l’entreprise n’est pas l’une de ces entités où se jouent le commun et le collectif que vous décrivez ?
JV : Actuellement, en France, l’entreprise est l’un des lieux les plus sûrs. Les gens sont très attachés à leur entreprise et à tout ce qui s’y rapporte. En tant que vieux soixante-huitard, libéral de gauche, j’ai découvert sur le tard les vertus de l’entreprise qui est un élément déterminant de
la structuration de la société. Véritable corps social à part entière, elle offre un lieu de vie, d’échange, d’ouverture. Certaines d’entre elles réussissent à inventer des nouveaux liens qui permettent à leurs équipes de vivre le plaisir d’être ensemble.
Vous soulignez qu’il est urgent de conserver les marqueurs traditionnels du temps collectif mais aussi de s’ouvrir à des marqueurs plus récents. Quelques exemples ?
JV : Si nous conservons les marqueurs hérités de nos traditions chrétiennes, militaires ou républicaines – le dimanche, Noël, le 14 Juillet… –, sachons en même temps favoriser les événements qui nous rassemblent et font repères pour l’ensemble de notre société dans sa diversité. Et intégrons dans nos marqueurs ceux des derniers arrivés – une fête musulmane, par exemple. Ou le jour de la Terre, un jour pour la paix plutôt qu’une commémoration de victoire. Sur onze jours fériés annuels, certains ont du
sens, d’autres pas, les croyances évoluent. C’est un vaste chantier, essentiel pour notre vivre-ensemble.
Votre regard sur notre politique migratoire est sévère. Que préconisez-vous ?
JV : Seules les civilisations mortes ont peur des arrivants. Les autres les intègrent et s’enrichissent de leurs apports. Notre civilisation serait-elle déjà morte ? La crise des migrants est-elle une fonction miroir, comme le disait le sociologue Michel Marié, de notre propre décès ? Ou allons-nous nous réveiller et nous rappeler que 40 % des start-up aux États-Unis sont créées par des migrants ou que, comme le dit Angela Merkel, un migrant est productif au bout de sept ans, un enfant, de vingt-cinq ?
L’Allemagne et son million de Syriens accueillis permettront demain aux Allemands de reconstruire la Mésopotamie. Il se joue, dans les rapports avec là-bas, une part du renouvellement, ici, de la fraternité dont nous avons tant besoin. Et de notre avenir écologique et économique si nous savons construire l’Euro-Méditerranée africaine qui est notre avenir.
La révolution numérique, facteur d’exclusion, exige de repenser le nuage métropolitain autour de chaque métropole pour combattre cet apartheid culturel. Par quels moyens ?
JV : Depuis dix ans, les grandes métropoles ont accéléré la captation des richesses en attirant les populations les plus diplômées, les plus connectées, les plus adaptables. Les usines, les retraités,
les employés, les ouvriers ont été relégués dans les territoires ruraux. Il faut impérativement réorganiser le nuage métropolitain (il en existe huit en France) avec des mobilités et des infrastructures culturelles, sportives, sociales, qui relient le centre à la périphérie du nuage et permettent à tous de bénéficier de l’énergie du coeur de la métropole sans s’en sentir exclus. Il en va de la cohésion de notre pays.
Le Grand Paris n’est-il pas justement une redéfinition du territoire urbain qui contribue à gommer les exclusions ?
JV : Le Grand Paris, c’est la capitale européenne de demain. L’Île-de-France est une des quatre global cities mondiales avec New York, Los Angeles et Shanghai. Le Grand Paris doit être pensé comme New
York, doté de structures énormes telles que le pôle de la recherche de Saclay ou encore EuroDisney, à la mesure de l’attraction mondiale recherchée. Notre capitale attire la mondialisation, chacun doit bénéficier de ses retombées grâce à la mobilité créée au sein de cette gigantesque entité urbaine.
CHIFFRES CLÉS :
Propos recueillis par Caroline Tancrède
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